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Les Trahisons du souvenir
Traduction : Agñes Boonefaes
La solitude de l’artiste, assailli par les souvenirs...
Extrait
Au cours des derniers mois, la maladie avait causé des ravages dans son organisme. Il ne quittait presque plus la petite chambre où l’avaient acculé ses crises après avoir perdu emploi sur emploi et toute sa sécurité. Il vivait de façon frugale, au seuil de la pauvreté, voire au-delà de sa géométrie strictement angulaire. Mais il ne se rendait pas compte de son état. Les amis qui le poursuivaient au temps de sa prospérité, alors qu’il était considéré comme un hôte généreux et plein d’attentions, l’avaient abandonné. Encore un coup de pied au cœur. Mais il ne se plaignait pas et ne demandait rien. Avec le peu d’argent qui lui restait, il s’offrait des matériaux artistiques coûteux et, oubliant l’ingratitude du temps qui passe, il meublait sa solitude en construisant des pièces exquises et incroyables. Pour cela, il avait cessé d’acheter les médicaments qui lui assuraient un équilibre vital précaire. Il avait fini par oublier ce besoin, au fur et à mesure que ses mains créaient des autels invraisemblables dont les tabernacles étaient des paysages d’arbres fruitiers et de cathédrales ; des anges superbes, resplendissants et doux aux ailes frémissantes, qui inventaient la musique et le silence ; des bateaux, toutes voiles déployées vers des constellations glorieuses qui produisaient l’extase dans le sillage de la liberté ; de précieux animaux perdus dans le paradis du mystère de leurs regards et de leurs mouvements extraordinaires ; des monnaies d’or dont les visages au profil exquis sacralisaient la souveraineté de la jeunesse et de la beauté dans l’intensité du désir et de la gloire ; des jouets qui faisaient retrouver les réponses et les dons incroyables de l’enfance dans les horizons de la poésie. De ses mains surgissait à l’aube un monde de rêves, comme un mirage démesuré. La petite chambre parcimonieuse, dont l’unique fenêtre veillait à opposer une frontière aux ingratitudes et aux agressions vertigineuses qui l’entouraient, ne suffisait déjà plus pour contenir tant de merveilles.