Editions Deleatur

Prudentia Gras fut-elle la compagne de François Villon en même temps qu’une poétesse méconnue ?

Extrait

Ci-dessus: Le Martyre du poète.
(Baptistère de Saint-Symphorien, Sarthe, doc. Yves Barré.) 

Nous avons tenté une reconstitution de la vie de Prudentia Gras à partir des archives de la communauté dominicaine de Notre-Dame-de-Prouilhes en Lauragais.
Il n’y a plus de registre paroissial, mais les archives de l’évêché d’Angers attestent du baptême de Prudentia, Suzanna Gras en l’année 1435. Née à Béhuard, « isle en Loire », de Pierre Gras et de Célestina Delasource, elle est prénommée Prudentia, Suzanna. On ne sait rien de son enfance ; vraisemblablement élevée en cuisine et au service, dans la grande salle commune de l’auberge, elle pouvait, le soir, écouter les récits des colporteurs ou des rimailleurs de passage.
Elle a vingt ans en 1455, année où un mauvais garçon aux façons pas très catholiques, François de Montcorbier, plus connu sous le nom de François Villon, se réfugie à l’auberge de Béhuard. Il est en fuite, recherché pour meurtre. Beau parleur, licencié et maître ès arts, il enseigne l’écriture à la belle Prudentia, en échange du gîte et du couvert. Ce trousseur de vers est aussi un trousseur de filles : Prudentia va prestement jeter son tablier de servante aux orties, quitter ses parents et s’attacher à son François.
Elle le suit dans toutes ses cavales, mais assiste aussi à son travail de création. Villon, écrivailleur follastre, compose et rédige sur n’importe quel support, au gré de l’inspiration. Il éparpille, perd ou jette ses textes, que Prudentia collige patiemment. Mimétisme ou vocation naissante, c’est à cette époque que Prudentia Gras écrit ses premiers poèmes, qu’elle signe du nom de Gras-Villon.
Après 1463, on perd la trace de Villon. Prudence, elle, émigre vers le Sud-Ouest, la patrie des troubadours – son procès fera mention d’un passage au château de Puivert. En 1471, travestie en homme, elle participe aux célèbres Palinods de Toulouse. Découverte, Prudentia est arrêtée en 1472. Du jugement, nous ne savons rien, les minutes du procès ayant disparu. Comment a-t-elle évité le bûcher ? L’aurait-on, un peu vivement, incitée à abjurer publiquement son comportement scandaleux ? A-t-elle fait amende honorable ? On a toutefois la preuve de sa condamnation à finir ses jours recluse au monastère de Notre-Dame-de-Prouilhes, où elle entre en 1473.