Editions Deleatur

Les singularités du monde austral décrites par André Thevet nous font découvrir l’imaginaire d’une époque peu soucieuse de vérité ethnographique.

Extrait

Avant que passer outre en la description des mœurs de ces Canibales, peuple tant celebré de nos pilotes, je veux faire une récapitulation des lieux & ports de mer, qui sont depuis le destroit de Magellan jusques à ce Promontoire, lequel fait une des pointes de cette grande estendue de terre, que aucuns disent le nouveau monde, autres la nomment Indes Occidentales, autres l’Anubigue, & autres la quatriesme partie du monde. [...]
Ceste contree Canibalique est fort peuplee d’arbres, & fut descouverte l’an mil cinq cens par les Chrestiens : mais de l’habiter, ou y descendre , n’y a grand moyen , veu la cruauté & furie des habitans , qui sont les plus vaillans,hardis & adextres de tous les peuples qui habitent depuis l’un Tropique à l’autre entre ces Sauvages : voire diray-je, que s’ils avoient le moyen de s’armer comme nous , qu’il n’y a peuple soubs le ciel , qui fust tant à craindre, veu que avec la force, dexterité & cruauté qui est en eux, ils n’ont autre soucy que la guerre, estans tousjours en course sur leurs voisins, soit par mer ou par terre.Il n’est Isle qui puisse estre habitee à l’entour d’eux , & moins est possible de les apprivoiser , veu qu’ils ne veullent paix, accord ou alliance avec autre, que entre eux mesmes. Outre leur inhumanité , & qu’ils vivent quelque fois de chair humaine, ils sont les plus grands Sodomites de la terre , & se glorifient en ce vil & detestable vice . Ceux d’entre les Espaignols & Portugais qui se sont mis en debvoir de les assubjetir, n’y ont gaigné que des coups, & s’en sont retournez avec courte honte,sans rien faire: & y ont laissé plusieurs de leurs compaignons , que ces gens cruels ont massacré & mangé, ainsi qu’ils usent à l’endroit de leurs ennemis. Je ne sçay où a songé ou prins celuy qui se vente avoir si bien traduict & glosé l’Histoire universelle de Jean de Boësme , & de Munster, que les Canibales ayant occis leurs ennemis les sallent , & les ayant ainsi long temps gardez les mangent. Chose aussi peu veritable que ce qu’il racompte en un autre endroit, que les Sauvages , desquels je vous ay parlé cy devant, adorent le Soleil, la Lune, les Estoilles, & certaines Idoles, qu’ils ont entre eux : adjoustant que le fils mange le pere, & usans de sacrifices. Je prens pour tesmoins,tous ceux qui ont fait le voyage comme moy , si ce n’est pas une pure menterie : car il n’en est autre chose,que ce que je vous en ay descrit. La reputation donc des Canibales est telle en tous ces païs là,& mesmes depuis la riviere de Maragnon jusques à celle de Plate,que noz Sauvages Margageaz, Toupinanbaux, & Toupinanquins, pour se dire & porter vaillans, se disent estre descenduz des Canibales , comptans que apres ce grand deluge,duquel j’ay parlé cy devant, comme plusieurs se fussent sauvez sur les montaignes des Canibales , estant leur plat pays gasté par les eauës du deluge, se marierent là, & retournerent en leur pays avec leurs femmes & enfans nez aux Canibales , & quelques parens de leurs espouses, & par ce moyen repeuplerent leur region : qui est cause qu’ils sont si vaillans : & sur tous sont estimez les Margageaz sortiz de ceste cruelle engeance , veu qu’ils imitent les façons et mœurs sauvages & farouches des Canibales. C’est ce peuple,lequel sur toute nation use de fleches & sagettes envenimees , le venim desquelles est tel, que un homme en estant frappé, il luy est impossible de se sauver de mort : & enfoncent leurs arcs de tel effort & puissance,que celuy des Turcs n’est rien , au regard de l’ouverture que font ces furieux descochans contre quelcun.