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Un Passereau
Nouvelle postale n° 23
Premier texte publié de Patrick Boman.
Repris in extenso dans l'Anthologie Deleatur chez Ginkgo.
Extrait
L’émouvante histoire d’Engoulevent fut si souvent contée, reprise, remaniée – on en connaît soixante-douze versions – qu’on pourrait avoir quelques scrupules à l’exposer de nouveau. Ne tenons pas compte de ces petites bêtes, d’autant que presse la nécessité d’évoquer à notre tour l’exemplarité de cette trahison. Tous les textes concordent : on ne sait rien
d’Engoulevent avant le crime ignoble qui allait assurer son renom, et c’est par un glacial après-midi d’hiver, dans la cour boueuse d’un manoir berrichon, qu’il se présente à nous.
Engoulevent, chevalier dépenaillé, est d’humeur massacrante, comme la suite va le montrer.
La bise lui mord cruellement les oreilles, ses cors aux pieds le font souffrir et, surtout, le souvenir de l’incident survenu le matin le brûle. Sire Oz, son suzerain, lui a fait en présence d’autres noblaillons des remarques, insultantes bien que balbutiées, au sujet du mauvais état de son équipement.
Le chevalier osera-t-il partir en campagne ainsi accoutré lorsque refleurira le printemps et
qu’il s’agira, comme tous les ans, d’incendier et de massacrer ? L’observation n’était pas sans fondement. L’armure du preux est mangée de rouille ; son épée, bien affûtée, ferait une excellente scie ; sa selle a pris pension chez l’usurier et son destrier, âgé et famélique, l’emmènerait à grand-peine au casse-pipes.