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Persée et Andromède
Nouvelle postale n° 15
Une des moralités légendaires. Toute la grâce et l'humour de Laforgue.
Extrait
Miraculeux et plein de chic, Persée approche, les ailes de son hippogriffe battent plus lentement ; — et plus il approche, plus Andromède se sent provinciale, et ne sait que faire de ses bras tout charmants.
Arrivé à quelques mètres devant Andromède, l'hippogriffe, bien stylé, s'arrête, ploie les genoux au ras des flots, tout en se soutenant d'un rose frémissement d'ailes ; et Persée s'incline. Andromède baisse la tête. C'est donc là son fiancé. Quel va être le son de sa voix et son premier mot ?
Mais le voilà qui repart sans un mot et, ayant pris du champ, s'élance et se met à décrire des ovales en passant et repassant devant elle, caracolant au ras de la mer miraculeusement miroir, rétrécissant de plus en plus ses orbes vers Andromède, comme pour donner à cette petite vierge le temps de l'admirer et de le désirer. Singulier spectacle, en vérité !...
Cette fois il a passé si près, lui souriant, qu'elle aurait pu le toucher !
Persée monte en amazone, croisant coquettement ses pieds aux sandales de byssus ; à l'arçon de sa selle pend un miroir ; il est imberbe ; sa bouche rose et souriante peut être qualifiée de grenade ouverte ; !e creux de sa poitrine est laqué d'une rose, ses bras sont tatoués d'un cœur percé d'une flèche, il a un lys peint sur le gras des mollets ; il porte un monocle d'émeraude, nombre de bagues et de bracelets ; de son baudrier doré pend une petite épée à poignée en nacre... Ce jeune héros a l'air fameusement sûr de son affaire.
Ce jeune héros arrête son hippogriffe devant Andromède et se met à exécuter des moulinets de son épée adamantine.
Andromède ne bouge pas, prête à pleurer d'incertitude, semblant n'attendre plus que le son de voix de ce personnage pour s'abandonner au sort.
Le Monstre se tient coi à l'écart.
D'un gracieux mouvement, Persée fait virer sa monture, qui, sans troubler le miroir de l'eau, vient s'agenouiller devant Andromède en présentant le flanc ; le jeune chevalier noue ses mains en étrier et, les inclinant devant la jeune captive, dit avec un grasseyement incurablement affecté :
« Allez, hop ! à Cythère !... »