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La Provence en Archipel
Coédition Passage/Deleatur
Des parois de la montagne Sainte-Victoire aux échancrures marines des Calanques, en passant par les combes ignorées du Lubéron, Bernard Amy nous livre ici ses îles de calcaire, dressées au-dessus des terres sèches de Provence comme un vaste archipel de pierre.
Ces îles sont habitées de passions et de rêves ; le vent y véhicule de l'une à l'autre le secret de leur lent cheminement dans la conscience des grimpeurs, ces derniers marins des hautes terres.
Extrait
Un des chemins possibles est celui qui arrive des montagnes du Nord, sur le fil des crêtes qui, bien au-delà du creux de la Durance, se dressent dans les pays d'hiver blanc. Il est sentier étroit plus que chemin, trace qu'il faut suivre seul dans sa longue quête des terres du Sud. Il va de sommets en sommets, longue passerelle entre les ombres et les lumières des pentes, entre les montagnes de pierre et les montagnes de ceux qui vivent en s'inventant des pics. Peut-être n'existe-t-il pas vraiment. Et, loin des routes et des hauts itinéraires tracés à l'attention de ceux qui ne cherchent plus, peut-être n'est-il rien d'autre pour chacun que le chemin de son désir.
Il est d'abord sentier d'enfance sur les alpages d'herbe verte où l'imagination construisait de grandes cimes couvrant la Terre entière. Puis il devient sentier des premiers récits d'escalade et d'héroïsme, à la fois trace pour les pas et trace pour les mots, voie tout à coup seule possible où chercher les gestes vrais de la vie.
Plus tard il revient parfois vers les vallées, paraît s'y arrêter. Mais un jour il faut repartir vers les vieux savoirs d'en haut. Et il est de nouveau sous les pas, ouvert sur l'inconnu, menant toujours plus vers le Sud, jusqu'à la dernière grande montagne où la pente s'adoucit, où le pays soudain n'est plus le même.
Bien qu'il descende des sommets, il ne trouve plus d'herbe épaisse et verte. Ici la pierre reste à fleur de terre. Les forêts d'ombres fraîches ont laissé place à des taillis durs et secs. Et par endroits il s'efface presque. Mais il est déjà en imagination chemin tracé au bord duquel se mêlent des plantes parfumées et nouvelles, des lumières et des bruits de ressac, et des falaises de pierre claire. Le vent, oubliant ses longues glissades d'altitude, tourne dans des ravins de chênes verts, s'emplit d'arbres à résine et, à la sortie des vallons, se met à couler comme un vent de mer. Le vide des pentes, moins profond, s'étend loin, à peine arrêté par les barrières droites de montagnes qui se confondent avec l'horizon. Et l'on se dit que l'on est arrivé dans les pays du Sud, que le voyage va s'arrêter, et avec lui la longue découverte des sentiers intérieurs, le lent cheminement d'un désir à l'autre, d'un rêve au rêve qu'il suscite...
Tel avait été le chemin suivi par Laurent depuis la première montagne de ses années d'enfance jusqu'aux pierres chaudes de la Provence. Un jour, après bien des courses sur les sommets des Alpes, il s'était senti comme le voyageur qui se souvient être venu d'ailleurs, mais s'aperçoit soudain qu'un nouveau pays le prend et jette dans sa mémoire des visions neuves. Le voyageur se retourne. Il est trop tard. Le pays entourait Laurent, l'entraînant dans sa propre dérive, faisant maintenant de lui un homme de garrigues et de terres sèches.