Recherche avancée
Agenda
Ethnograffiti
Recueil de notes d'ethnographie imaginaires.
4 dessins de Jorge Camacho.
Extrait
C'est un peuple étrange, qui vit sur un continent au climat capricieux : les accès les plus torrides succèdent brusquement aux rigueurs hivernales, la pluie glacée au simoun et la bise aride aux brouillards givrants.
Les Palimpsestes ont su s'adapter à ces hasards météorologiques : ils possèdent plusieurs peaux qu'ils peuvent à leur gré ajouter ou soustraire de façon à se préserver des trop grands froids puis, quelques heures après, du brusque réchauffement de l'air. Chez eux, l'expression « changer de peau » a un sens des plus étroits.
Le caractère versatile du climat a influé sur celui des habitants, volontiers primesautiers et facétieux : ils s'échangent facilement leurs épidermes, surtout s'il s'agit de confondre un étranger de passage.
Ainsi le voyageur, attiré par la beauté d'une femme — les Palimpsestes vont toujours « nus » — à la peau laiteuse et tentante, et encouragé par celle-ci à la suivre, se trouvera-t-il, une fois dans l'intimité de la demeure, en face d'un vénérable patriarche ou d'un habile négociant, qui profitera de la stupeur de son hôte pour lui vendre un de ces articles de maroquinerie qui font la réputation de l'artisanat local.
Les Parangons, hautains et dédaigneux, professent à l'égard du reste de la Création le plus souverain mépris qui se puisse concevoir ; ignorants des arts et des lettres, n'ayant jamais voulu se confronter à d'autres civilisations, ils portent une vénération exclusive à leurs piètres monuments et aux quelques strophes bancales qui en « ornent » les soubassements. Vêtus de haillons et couverts de vermine, ils promènent leur insolente indigence à la face de l'Univers, dont ils ignorent toute la féconde diversité et les étranges et singulières splendeurs.
Par contraste, les Cadratins — qui peuplent la vallée voisine du marigot où s'embourbent les Parangons, — trapus et joviaux, pratiquent le vide ontologique systématique ; toujours accueillants et affables, prêts à adopter les images que vous leur proposez comme divinités, à s'extasier sur les verroteries et à vous offrir leurs femmes, qui ne sont point laides malgré leur embonpoint excessif.
Et vous pensez, solitaire voyageur des contrées perdues, qu'il faudrait bien peu de chose — que les Parangons perdent de leur altitude intérieure et que les Cadratins élèvent d'un rien leurs regards par-dessus les crêtes qui limitent leur horizon — pour que ces deux races se confondent et partent, parangonnées et cadratinées, à la conquête du vaste monde.