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Intrigues de Cour
88 dessins de l’auteur.
Un roman d’aventures unique dans sa conception, faisant alterner texte et bande dessinée.
Dédicacé... à Walter Scott, Intrigues de Cour vole de péripétie en coup de théâtre, avec des meurtres, des amours, des châteaux, une reine évadée, une poursuite sur la cathédrale ; tout l'attirail romanesque, baroque et poétique. Pourtant, tout y est simple : le vieux Roi vient d'épouser une adolescente, les Princes du Sang vont s'entretuer pour le trône, un monde de comparses diaboliques (la Cour) s'agite sur le devant de la scène. A quel prix ?
Ce livre, écrit en 1966 sous la forme semi-dessinée présentée ici, est comme la monstrueuse prémonition de l'abâtardissement de l'aventure gaullienne. La crise du pouvoir, la perte de la légitimité l'intéressent.
Des épisodes rapides, des narrations à effets précisent l'acharnement de la dérive, le hiatus entre la chronique et l'Histoire, l'absence du « Peuple ». Mais comme l'écrivait l'auteur deux ans avant Mai-68, il ne pouvait y être directement question de révolution, les chroniqueurs « ne l'ayant à aucun moment pressentie ».
Rappelons que Yak Rivais a obtenu en 1971 le prix de l'Humour Noir (après en avoir été le président, il est juré du prix aujourd'hui), et, en 1979, le prix de l'Anti-Conformisme. Deux prix qu'Intrigues de Cour ne dément pas !
Extrait
Robert XIV, roi de Haute-Céphalie, a écrasé l'armée de l'Anarchi-Duc à Ressac. Il a dicté ses conditions. L'unique héritière de la couronne anarchi-ducale est Olga d'Euphorie. Elle n'a pas 13 ans. Robert XIV l'épouse, il a 70 ans. Il ramène son épouse en grand équipage, donne un grand bal pour célébrer la victoire militaire et présenter sa jeune femme à la cour.
Le roi entra. Sa femme le suivait. Les courtisans se turent. Le roi, ayant gravi les degrés du trône, se retourna et tendit symboliquement la main à la jeune femme agenouillée. Ils s'assirent. Le nain Gobolo, secouant les grelots de son bonnet, adressa une horrible grimace au roi, qui éclata de rire, et le chassa du pied. Le nain dégringola trois marches en glapissant d'une manière caricaturale. Il sortit un bilboquet de la poche de son pourpoint bigarré, et s'en amusa; mais il borborygmait pour manifester une feinte contrariété. Le roi se leva. Il eut un large geste de sa main gantée, qui ramena le silence dans la salle.
— Moi, Robert, quatorzième du nom, roi de Haute-Céphalie par la grâce de l'Aptatou, présente à ma noble Cour Olga, princesse héritière d'Euphorie. Elle sera reine à sa majorité ou à la naissance de son premier enfant.
Il s'assit. Les trompettes sonnèrent. Les Princes du Sang, tour à tour, s'inclinaient. Gobolo, parlant comme à part-soi, les nommait suffisamment haut pour que le roi l'entende et ricane;
— Xavier de Céphalie dit Gravier. Julien de Céphalie dit Ficelle. Gontran de Céphalie dit Tongrand. Adhémar de Sporotrichose dit Adhémarchinchose. Frédéric, Luc et Sigismond, trois bâtards.
On dansait. Les dames se courbaient, exhibaient leurs seins.
— Malotru!
Les courtisans s'écartent, la musique s'interrompt. Deux hommes se font face, l'un est Xavier de Céphalie, Prince du Sang.
— Mais? dit l'autre. Que me voulez-vous?
— En garde, Monsieur! s'écrie Xavier.
— Mais pour quelle raison? demande l'autre.
— En garde! crie Xavier.
Le roi intervient:
— Holà, Messieurs! Que se passe-t-il!
— Il y a, Sire, s'écrie Xavier de Céphalie, que ce faquin...
— Mais? dit l'homme qui semble ne pas comprendre. Que me...
— Taisez-vous malotru! En garde!
Alors le nain glapit:
— La Sire a interdit les duels!
Et il rit. Les courtisans, reculés jusqu'aux murs, observent le roi et les Princes. Les gardes se raidissent, et l'on entend d'un seul bruit les manches en bois ferré des lances frappés sur les dalles du sol.
— En garde! répète Xavier pour toute réponse.
Murmures! Le roi pâlit. Olga s'agrippe à son bras. Le roi se dresse. Les Princes du Sang encadrent solidairement Xavier. Le roi hésite à les affronter.
— En garde, malotru! répète hardiment Xavier. Ou je vous abats comme un chien!
— Mais? dit l'homme. Je ne...
Xavier l'attaque! L'homme accepte par réflexe l'épée que lui présente Julien de Céphalie pour se défendre.
Il riposte, semble se battre en s'excusant, n'attaque pas. Xavier se fend, l'homme pare le coup. Xavier pointe au corps, l'homme esquive. Corps à corps. Xavier repousse son adversaire et lui porte un coup bas, mais l'homme pare encore en rassemblant! La foule apprécie la parade, l'homme est un fin bretteur!
— Ça ne sera pas facile, chuchote alors Gontran à Adhémar.
Alors Julien de Céphalie fait un croc-en-jambe à l'inconnu, qui trébuche. Xavier n'a aucun mal à mettre à profit la glissade, et le perce de bas en haut, la lame ressort sous l'omoplate! L'homme s'abat lourdement! Les courtisans parlent sans retenue ! Les lévriers, qui se tenaient couchés au pied du trône, se dressent, grondent, gueule en avant! Le nain nargue ouvertement le roi qu'entourent maintenant les gardes, lances au poing, comme un rempart épineux! Xavier triomphe. Olga regarde la salle hostile avec effroi. Le roi se sent bien vieux. Il fait un signe du menton au capitaine des Gardes pour qu'il arrête son fils. Mais les Princes du Sang se sont rassemblés autour du provocateur et le protègent, main à l'épée. Les gardes s'immobilisent, prêts au combat. Leur capitaine s'avance vers le groupe de Princes, l'épée nue:
— Au nom de sa Majesté! commence-t-il....
Mais brusquement la grande porte s'ouvre à l'autre extrémité de la salle du trône ! Les femmes crient car une quinzaine de spadassins accourent, entraînés par Sigismond le bâtard, prêts à tout. Le capitaine des Gardes s'interroge; il se retourne vers le Roi, qui capitule et s'assied.
— Pas d'effusion de sang ici, murmure-t-il, vaincu...